Le pull de Noël

Noël approchait ; il fallait qu’elle se dépêche. Elle n’avait pas encore fini le pull qu’elle avait promis à son fils. Elle défit quelques mailles : elle avait oublié de prendre le fil rouge. Trois mailles en rouge, une maille en vert, trois mailles en rouge, une maille en vert… Sans lâcher ses aiguilles, elle jeta un coup d’œil furtif à l’horloge accrochée au-dessus du buffet. 23h15. « Je vais y passer la nuit ! » Pourquoi s’y prenait-elle toujours au dernier moment ? Pourquoi avait-elle choisi ce modèle qu’elle avait vu cent fois sur les réseaux sociaux ? Il n’était pas si simple finalement. Maintenant, le fil blanc. Un rang endroit, un rang envers. Ne pas oublier de faire les diminutions. Le poêle ronronnait. De temps à autre, une flammèche s’échappait de la grosse bûche posée en son centre. Le cliquetis régulier des aiguilles se croisant formait une petite musique répétitive, presque une litanie. Les doigts continuaient leur mouvement machinalement, des mailles envers, des mailles endroit, le fil rouge, le fil vert, on recommence. Ses paupières se fermaient doucement, elle ne pouvait plus résister au sommeil qui l’engourdissait peu à peu. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle aperçut trois poils qu’elle n’avait jamais vus sur sa main gauche. Ils étaient plutôt épais et formaient une boucle blanche. Elle arrivait aux côtes de la première manche. Une maille endroit, une maille envers. Encore quelques rangs. Elle s’étira. Ses pieds lui paraissaient lourds comme s’ils étaient chaussés de sabots. En les reposant sur le sol, ils firent un bruit sourd. Plus qu’une manche. Son dos la démangeait. Elle glissa ses doigts dans l’épaisse toison et se gratta l’échine. Deux rangs en rouge, puis le fil vert. Ne pas se tromper. Ne pas oublier les diminutions. 2, 4, 6, 8, 10, 12… Le compte était bon. Continuer. Maintenant, les mailles envers. Elle bailla. Elle bêla. Les aiguilles glissaient de ses sabots. Plus que les côtes. Une maille endroit, une maille envers. La tête lourde. Les mouvements de sa machoires suivaient ceux des aiguilles, ses dents du bas allant vers la gauche tandis que celles du haut partaient vers la droite. Une maille endroit, une maille envers. Ses lunettes tombaient de son long nez arqué. Une maille endroit, passer la maille précédente par-dessus. C’était bientôt fini. Elle passa la pelote dans la boucle de la dernière maille. Tira le fil. Elle pencha son corps alourdi par sa toison blanche et bouclée pour attraper ses ciseaux. D’un mouvement sec, elle coupa le fil. Un rai de lumière s’infiltra à travers les volets. Clignant des paupières, elle aperçut tout autour d’elle des tas de poils blancs et frisés qui jonchaient le col.

Christine.

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